Une maison, un artiste

C'est dans le village d'Auvers-sur-Oise que Vincent Van Gogh est mort en 1890. Il n'y a vécu que quelques mois mais y a peint plus de 70 toiles, déterminantes dans son oeuvre. Cette période a été la plus féconde de sa vie d'artiste. Sa chambre, jamais relouée, est restée intacte, au premier étage de l'auberge Ravoux. Discrètement, par petites touches, comme une illusion, l'ombre de Van Gogh plane dans la pièce. Des torchons de lin filetés de rouge recouvrent à peine les vieilles tables de chêne, les verres et les carafes éveillent un sentiment de déjà-vu.

Le comédien français Jean-Claude Brialy aimait raconter des histoires, celle de son époque, de ses amis et du siècle qu'il a traversé. Le château de Monthyon, en Seine-et-Marne, qu'il a acheté en 1959 à l'âge de 39 ans, est le gardien de sa mémoire. Depuis la disparition de l'acteur, en 2007, rien n'a bougé, tout est à la même place. Jean-Claude Brialy a fait de ce château un lieu privilégié où ses proches étaient invités à venir se reposer, une journée, une nuit, un mois ou une année.

Le jour vient tout juste de se lever sur la Loire. Un homme arrive à dos de mulet, après des jours de voyages depuis l'Italie, accompagné de son fidèle compagnon, de quelques affaires et de ses animaux de compagnie. Il s'agit de Léonard de Vinci, peintre, homme de science, sculpteur, architecte et savant dans de nombreux domaines. Cet esprit de la Renaissance, ce génie italien entre pour la première fois dans le château du Clos-Lucé. Il y vivra les trois dernières années de sa vie. C'est François Ier lui-même qui a mis l'édifice à la disposition du peintre en 1516.

Haworth, petit village anglais du West Yorkshire, abrite le presbytère des soeurs Brontë, la demeure familiale où leur père exerça ses fonctions de révérend. C'est là que Charlotte, Emily et Anne vécurent leurs «courtes vies» et écrivirent leurs romans, de «Jane Eyre» aux «Hauts de Hurlevent». Entourée de tombes, comme le sont les églises et les presbytères britanniques, la maison a une teinte olivâtre, nimbant les lieux d'une atmosphère blafarde et mystérieuse, renforcée par le gris menaçant du ciel, typique de cette région du Nord de l'Angleterre. Aujourd'hui transformé en musée, le presbytère laisse affleurer fantômes, folie et passions.

En pleine campagne, non loin de Paris, dans le parc naturel du Vexin, se niche une petite maison de caractère, sorte de datcha, l'Hermitage, la demeure que se sont choisie Nina Companeez et sa fille Valentine dans les années 1990. La réalisatrice française d'origine Russe y a vécu deux décennies, jusqu'à la fin de sa vie, en 2015. Et même si la maison porte toujours profondément son empreinte, sa fille a décidé de la vendre et de tourner la page. Nathalie Plicot filme la dernière visite de la maison, dont les murs sont encore imprégnés de l'esprit et de l'âme de la cinéaste.

Né dans une vaste propriété de Fuente Vaqueros, près de Grenade, le poète Federico García Lorca meurt 38 ans plus tard, non loin de là. Durant sa jeunesse, il a passé beaucoup de son temps dans la villégiature de sa famille, la «Huerta de San Vicente». Ces deux demeures sont encore là, hantées par les objets et la présence du poète tourmenté, assassiné en 1936 par des phalangistes au début de la guerre civile espagnole. Les intérieurs paraissent humbles, presque austères, mais il en émane une atmosphère bienveillante. Les paysages ont fort peu changé et il est toujours possible de contempler la beauté sobre de la nature qui a imprégné ses vers.

Alors en pleine disgrâce, Chateaubriand trouve refuge dans un magnifique domaine situé à Châtenay-Malabry, non loin de Paris. En 1807, l'auteur vient de publier un article critiquant ouvertement Napoléon. Il jette son dévolu sur cette propriété dénommée la Vallée-aux-Loups, relativement modeste. Là, il écrit notamment «Les Mémoires d'outre-tombe». Sous la Restauration, il subit une nouvelle disgrâce qui le contraint à se séparer de son domaine. Aujourd'hui classée monument historique, la Vallée-aux-Loups accueille le musée Chateaubriand. Dans le parc, il est toujours possible de découvrir la tour Velleda où l'auteur avait installé son bureau.

Deux fois par semaine, en Angleterre, un discret cottage du XVIIIe siècle accueille les visiteurs épris de littérature. C'est en effet dans cette demeure du Sussex de l'Est que venait se reposer l'auteur Virgnia Woolf à partir de 1919. Malgré de profonds désordres psychiques, elle y passa des jours heureux en compagnie de son époux Leonard Woolf. Tous deux très engagés, ils y trouvaient volontiers refuge en compagnie des intellectuels et artistes qui leur rendaient visite en nombre. Le jardin fit l'objet de soins attentifs grâce à Leonard. En 1925, Virginia Woolf y écrivit son mondialement célèbre «Mrs Dalloway». Peu de choses semblent avoir changé depuis le 28 mars 1941, date de son suicide dans la proche rivière de l'Ouse.

L'humoriste français Raymond Devos a vécu à Saint-Rémy-lès-Chevreuse dans une demeure acquise au début des années 60. Le génie des mots y a passé des moments paisibles jusqu'à son décès en juin 2006.

Alexandre Dumas, au sommet de sa gloire, se fait construire le château de ses rêves : Monte-Cristo, dans la région parisienne. L'édifice de style Renaissance se distingue par ses nombreux ornements et son salon mauresque. Dumas fait également bâtir une maison gothique, refuge pour écrire. Ces constructions sont à l'image du raffinement et de la démesure de l'auteur des « Trois Mousquetaires ».