Une maison, un artiste

1953. Charlie Chaplin s'installe en Suisse, à Vevey, après avoir été interdit de séjour aux Etats-Unis pour idées subversives. Le réalisateur et sa famille s'installent dans un immense manoir, prolongé d'un parc de quinze hectares et d'une vue imprenable sur les montagnes et le lac Léman. La fratrie s'épanouit dans un climat de sérénité : les huit enfants et quinze petits-enfants assistent au passage de grands hommes, artistes et hommes politiques. Et désormais, le quotidien de Charlie Chaplin est rythmé par la musique, la poésie, l'écriture. Le fils et le petit-fils de Charlie Chaplin retournent une dernière fois dans ce lieu de mémoire, destiné à devenir un musée. Chaque pièce y raconte l'oeuvre et la vie d'un homme au destin hors du commun.

Dès l'année 1918, Coco Chanel ouvre une boutique dans un immeuble du XVIIIe siècle, à deux pas de la Place Vendôme, dans le Ier arrondissement de Paris. Au deuxième étage, entre la boutique et les ateliers du troisième étage, elle s'aménage un appartement, s'entourant d'objets précieux : paravents, livres rares et statuettes. Dans ce lieu privé, Coco Chanel aime à se ressourcer, à recevoir des artistes, peintres, écrivains ou poètes. Dans la tranquillité de son intimité, elle se réfugie également dans la lecture. Cet appartement révèle l'histoire, les souvenirs et les passions de la grande créatrice, symbole de l'élégance à la française qui, tous les soirs, quittait ses ateliers et appartement pour aller dormir dans sa suite du Ritz, juste en face.

San Donatino, à Castellina, à quarante kilomètres de Florence, en pleine région du chianti. C'est ici que Léo Ferré, le chanteur, le poète, le musicien, l'anarchiste, le rebelle, l'artiste touche-à-tout, s'installa au début des années 70. Envoûté par la beauté des collines toscanes et le charme de ses villages de pierre, Léo Ferré eut un coup de coeur pour une vaste propriété, sise en pleine nature. Durant vingt ans, jusqu'à la mort de Léo Ferré en 1993, cette bâtisse, entourée de quinze hectares de vignes et d'oliviers, abrita ses amours, son atelier, ses créations et sa production de vin - dont son fils, Mathieu Ferré, a repris le flambeau.

Le chorégraphe Maurice Béjart a partagé sa vie entre deux pays : la Belgique et la Suisse. A Bruxelles, durant trois décennies, son lieu de vie était une haute maison dont le rez-de-chaussée est devenu un studio de danse et le grenier, un vaste espace en mezzanine, son appartement. A Lausanne, son principal lieu de vie fut, jusqu'à sa mort, la salle de répétition. Il y passait ses journées en compagnie de ses danseurs. Ses chorégraphies étaient comme ses appartements, agencés géométriquement, débarrassés du superflu. Ces lieux ont influencé son parcours, nourri sa créativité. En retour, ils ont gardé la trace de son passage.

Les sculptures monumentales de l'Américain Alexander Calder s'affichent dans les grandes villes du monde entier. L'inventeur du mobile, dont le nom est aujourd'hui bien connu, a conçu la plupart de ses grandes oeuvres en Touraine, dans le petit village de Saché. L'artiste y a élu domicile dans les années 50, dans une maison troglodyte acquise grâce à la vente de quelques mobiles. Quelques années plus tard, fuyant l'humidité du lieu, le créateur fait construire un immense atelier dominant la vallée ainsi qu'une nouvelle maison, au lieu dit du Haut-Carroi, devenu après sa mort une résidence vivante pour les artistes du monde entier, baptisée L'atelier Calder.

En 1893, Auguste Rodin s'installe à la Villa des Brillants à Meudon, sur les hauteurs de Paris, avec sa compagne de toujours Rose Beuret. C'est dans cette maison de style Louis XIII qu'il passe la fin de sa vie. L'artiste y installe son atelier-musée, en contrebas de la demeure principale, et se rend quotidiennement à Paris, dans ses ateliers. En 1900, une cinquantaine de personnes travaillent à Meudon, au côté du sculpteur, faisant de son atelier de banlieue un lieu vivant et actif. La maison, non loin, est également souvent visitée par les amis du couple, les modèles du créateur et des personnalités de toutes sortes, sans compter les commanditaires des oeuvres de Rodin. Ses oeuvres les plus importantes, «La Porte de l'Enfer», «Les Bourgeois de Calais» et le «Monument à Balzac», ont vu le jour à Meudon.

L'exploratrice, écrivaine et orientaliste Alexandra David-Néel est devenue célèbre en 1924, en étant la première occidentale à pénétrer dans Lhassa, la ville interdite du Tibet. Infatigable, elle a parcouru l'Asie pendant plus de 20 ans, avant de s'éteindre à Digne-les-Bains, en 1969, à près de 101 ans, alors qu'elle venait tout juste de faire renouveler son passeport. Sa maison, baptisée Samten Dzong, «forteresse de la méditation», évoque l'histoire étonnante de cette exploratrice passionnée. Le petit temple, son bureau et sa minuscule chambre qu'elle appelait «son trou», témoignent de la simplicité dans laquelle celle-ci vivait à Digne, son port d'attache entre deux voyages.

Vedette la mieux payée au monde d'après les journaux britanniques des années 30, Maurice Chevalier est la plus grande star française que le pays ait jamais portée. Cette légende du music-hall, à la fois acteur et chanteur, a eu deux passions dans la vie : son travail et sa mère, qu'il surnommait la Louque. C'est en hommage à cette femme qu'il baptisa la maison qu'il acquit en 1952 à Marnes-la-Coquette, en région parisienne, où il vécut pendant les vingt dernières années de sa vie. Après le décès de l'artiste, La Louque fut gardée intacte pendant quarante ans par sa dernière compagne.

A l'âge de cinquante ans, Sarah Bernhardt est au sommet de sa gloire. Alors que la comédienne, surnommée «la Divine» ou «la voix d'or», jongle entre ses activités de directrice de théâtre, de peintre et sculptrice, elle découvre un fort délabré sur la côte la plus sauvage de Belle-Ile en Bretagne. La star excentrique et célèbre à travers le monde choisit d'en faire son refuge estival. Pendant près de trente ans, l'actrice reste fidèle à ces lieux installés à la Pointe des Poulains. L'endroit lui tient particulièrement à coeur. Sarah Bernhardt n'abandonnera le site qu'à la fin de l'été 1922, juste quelques mois avant de disparaître.

En 1949, le Belge Georges Rémi, plus connu sous le pseudonyme d'Hergé, achète une vieille ferme de type espagnol. Elle se situe à une demi-heure du centre de Bruxelles, à Céroux-Mousty, dans la région du Brabant wallon. Le dessinateur et scénariste des «Aventures de Tintin» la rénove et la baptise «La Ferrière». Durant son séjour, il n'a de cesse de l'agrandir, de la réaménager et de l'embellir. C'est dans ce refuge champêtre, avec son jardin de près de 5 hectares, qu'il vit avec Germaine Kieckens, sa première épouse, loin du tumulte bruxellois. En 1988, la rue de la Ferrière devient la rue Hergé.